L'impact des comptes courants d'associé lors de la cession d'une entreprise

Si une entreprise à céder présente une dette en compte courant d'associé, il y a alors fort à parier que vous êtes, en tant que candidat repreneur, face à une entreprise qui présente, à minima, quelques difficultés de trésorerie. En règle général, tout cédant, sur les conseils de son intermédiaire (banquier d'affaires) ou de son expert-comptable, a tendance à nettoyer cette dette au bilan :

  • cela facilite la lecture du dossier de cession pour les futurs candidats ;
  • les repreneurs ne sont pas particulièrement friands à l'idée de "racheter » / "valoriser" de la trésorerie ;
  • moins il y a de dettes au bilan, plus la valorisation des titres sera élevée.
Bref, si le cédant (créancier) a décidé de ne pas solder son compte courant d'associé avant le démarrage du processus de vente, c'est qu'il estime que la trésorerie de sa société (débitrice) n'est pas assez solide face aux prochaines échéances pour se permettre une telle opération de remboursement. Mais alors que faire, en tant que repreneur, dans votre négociation ? Quel scénario privilégier ? Exiger dans la LOI un engagement du cédant sur l'abandon pur et simple de sa créance ? Privilégier le remboursement de la créance du cédant au prix de cession des titres ? Qu'en est-il si il y a d'autres associés qui, n'ayant pas avancé d'argent à la société, ont intérêt à ce que vous privilégiez le prix des titres ? Chaque cas est particulier et mérite une analyse fine. Dans cet article, nous rappelons les mécanismes du compte courant d'associé, et explorons le sort qui peut lui être réservé lors d'une cession/reprise des titres.

Qu'est-ce qu'un compte courant d'associé ?

Le compte courant d'associé est un dispositif comptable qui permet à chaque associé d'une société de pouvoir prêter de l'argent à ladite société, et ce sans formalisme imposé en dehors de l'obligation d'enregistrement comptable de la dette/créance constatée. Pour l'associé ayant consenti ce prêt, il s'agit d'une créance ; pour la société qui bénéficie de cette avance, il s'agit d'une dette, inscrite au passif du bilan. Très largement utilisés, les comptes courants d'associés jouent un rôle essentiel dans le financement des sociétés au sens large.

Même si le compte courant est une forme de prêt, on parle plus souvent dans le langage courant des affaires d'"apport en compte courant d'associé" ou d'"avance en compte courant d'associé". En règle générale, aucune convention n'est signée entre la société et son associé pour encadrer cette avance, l'associé étant par défaut protégé par l'inscription de sa créance en comptabilité de la société. Ces "avances" ou "apports" peuvent être remboursés, convertis en capital social ou enfin abandonnés à l'initiative de l'associé prêteur.

A noter que le concept inverse, à savoir un prêt de la société envers l'un de ses associés, est strictement prohibé par la loi (sous peine pour les associés bénéficiant de telles largesses d’être poursuivis pour abus de biens sociaux).

Une forme de prêt en dehors du circuit bancaire

Très utile, ce type de prêt / écriture comptable évite ainsi le recours à un établissement bancaire. Concrètement, un apport/avance en compte courant d'associé se réalise par

  • un virement du compte bancaire d'un associé vers le compte bancaire de la société ;
  • le paiement directement par l'associé d'un fournisseur, pour le compte de la société ;
  • une simple note de frais par l'associé gérant ou le salarié associé, qui faute de remboursement dans les temps, se retrouve alors enregistrée à la clôture du bilan comptable (comme une dette) en compte courant d'associé ;
  • une renonciation par un associé ou un dirigeant au paiement immédiat de ses dividendes ou d'une rémunération.

Caractéristiques d'un compte courant d'associé à défaut de stipulations contraires

Un compte courant d’associé diffère des autres types de prêt par plusieurs caractéristiques spécifiques :

  • Non rémunéré : sauf convention contraire, les sommes versées à la société ne produisent pas d’intérêts au bénéfice de l'associé ; il s'agit, par défaut, d'un prêt non rémunéré.
  • Flexibilité : les montants peuvent être mis à disposition sans formalité particulière.
  • Exigibilité : sauf restriction statutaire contraire (cas des comptes courants d’associés bloqués), les comptes courants d'associés sont exigibles de la société envers le titulaire du compte à tout moment, sur simple demande de l'associé prêteur, au même titre par exemple que des dividendes, des rémunérations ou des salaires.

Le compte courant d'associé en comptabilité

Ce prêt (ou "avance", ou "apport", suivant la terminologie employée), est inscrite en comptabilité dans un compte 455 "Compte courant d'associé", au passif du bilan de l'entreprise (exceptionnellement, en cas de comptes courants d'associés bloqués, on peut les trouver en compte 1681 Emprunts et dettes financières divers). Par exemple, une facture fournisseur payée par l'associé est alors enregistrée tout à fait normalement sur le compte des charges de la classe 6, mais en face, la créance de l'associé est enregistrée comme une dette, au passif du bilan de la société. Chaque apport / mouvement lié à un compte courant fait l'objet d'une écriture comptable, le solde de chaque compte courant figurant ensuite sur le bilan, à la clôture de l'exercice comptable.
En réalité, le schéma d’écritures comptables dépend aussi du caractère bloqué ou non du compte courant d’associé. Pour en savoir plus sur les comptabilisations liées au compte courant d'associé, cliquez ici.

La rémunération du compte courant d'associé

Les comptes courants d'associés peuvent être rémunérés par un intérêt dont le taux est librement fixé par accord entre la société et l'associé. Cette rémunération n'est pas obligatoire, sauf dans certains cas particuliers.

Pour les associés personnes physiques, la rémunération du compte courant n'est pas obligatoire. L'associé peut choisir de renoncer aux intérêts et accorder une avance non rémunérée sans risque fiscal. Pour les associés personnes morales, il est généralement recommandé de rémunérer le compte courant. Une avance non rémunérée pourrait être considérée comme un acte anormal de gestion par l'administration fiscale, sauf dans certaines situations exceptionnelles (exemple : aide à une filiale en difficulté).

Bien que le taux soit librement fixé, deux limites importantes s'appliquent :

  • La déductibilité fiscale des intérêts pour la société est plafonnée à un taux fixé par l'administration.
  • Un taux excessivement élevé par rapport aux conditions de marché pourrait être considéré comme une faute de gestion du dirigeant.

Les modalités de remboursement du compte courant d'associé

Le remboursement du compte courant permet à l'associé de récupérer ses fonds. Un compte courant d'associé est encadré par le droit des obligations, ainsi que par des règles spécifiques du droit bancaire et du droit des sociétés. Ainsi, l'"associé-prêteur" jouit de la double casquette d'associé et de créancier, deux rôles bien distincts. Techniquement, en l'absence de clause spécifique (certains pactes d'associés peuvent prévoir l'obligation d'obtenir l'aval des autres associés avant d'engager l'opération de remboursement), le compte courant d'associé est remboursable à tout moment, dès lors que l'associé en fait la demande.

L'encadrement des comptes courants par les statuts ou le pacte d'associés

Les statuts de la société définissent souvent les règles et les modalités concernant les comptes courants. Parfois, c'est le pacte d'associés qui régit les règles de rémunération ou de remboursement des comptes courants d'associés. D'une façon générale, il est donc primordial de s’assurer que toutes les mouvements, y compris sur la partie enregistrements comptables, sont conformes aux stipulations statutaires. Pour réfléchir à sa négociation sur le sort qu'il réserve aux comptes courants d'associés, le premier réflexe du repreneur est donc de demander une copie des statuts et du pacte d'associé (lorsqu'il existe), pour s'assurer que les comptes courants d'associés ne sont pas encadrés par des conditions spécifiques.

Le sort du compte courant d'associé dans l'acte de cession des titres

En cas de cession de leurs titres, le ou les cédants d'une société sont face à cinq pistes distinctes quant au sort de leur compte courant créditeur (créance) :

  • le remboursement préalable de leur créance avant la cession (extinction de la dette de la société envers l'associé) ;
  • la cession de leur créance à l'acquéreur (acte séparé de l'acte de cession de la société),
  • la conservation du compte courant postérieurement à la cession, ce qui implique de négocier et préciser dans l'acte de cession les règles du remboursement futur (partiel ou total) du compte courant ;
  • l'abandon de leur créance en faveur de la société (un tel abandon devant clairement figurer dans l'acte de cession pour être juridiquement valide) ;
  • un mixte entre les solutions précitées, à savoir un remboursement partiel ou une reprise partiel, couplé à l'abandon du solde.

Chaque choix impacte différemment l'acte de cession de la société, le prix de cession, ainsi que la fiscalité de chacun des protagonistes (cédants et repreneur). Ce choix fait toujours l'objet d'une négocation, il est aussi à mettre en perspective avec l'ensemble des éléments du deal. Cette négociation doit prendre en compte les intérêts des parties concernées, ainsi que la situation financière de la société. Le compte courant d'associé revêt une importance capitale dans les transmissions des sociétés en difficulté (Dealing-Room bénéfice d'une longue expérience sur ce type de deal, souvent très techniques), car bien souvent, en cas de difficulté, les associés sont les derniers soutiens de la société en difficulté. Quand on pense au désendettement d'une société, on se tourne naturellement en premier lieu vers les associés "créanciers"...

Pour un repreneur, l'analyse d'un dossier implique une multitude de points d'attention et de vérification, mais il ne faut pas sous-estimer l'importance du traitement de ces comptes courants, il est essentel de bien comprendre la psychologie des cédants. Certains cédants, après un long cheminement, finissent par abdiquer sur la valorisation potentielle de leur boîte (le "deuil de la valorisation") et oublier leurs rêves, mais renoncer à récupérer l'argent qu'ils ont prêté à leur société est une étape supplémentaire parfois trop douloureuse à faire psychologiquement (un deuil beaucoup plus difficile à faire pour un cédant).

Dans tous les cas, quelle que soit la piste privilégiée par le repreneur dans sa négociation avec le cédant, il est hautement conseillé de faire figurer la solution retenue dans l’acte de cession. Ne pas y faire référence est sûrement le choix le moins avisé pour le repreneur, le moins bon des scénarios : en effet, à défaut de mention, le cédant restera titulaire de sa créance après la vente. Ce dernier pourra en exiger le remboursement à tout moment, sans que le repreneur puisse s'y opposer, même si le montant est supérieur à la trésorerie disponible de l’entreprise.

Le remboursement des comptes courants juste avant la cession

Contrairement à une idée faussement répandue chez les dirigeants d'entreprise, il n'est absolument pas obligatoire de solder les comptes courants d'associés avant la mise en vente d'une société. Si la société dispose de suffisamment de trésorerie, il peut être préférable de le faire afin de rendre le dossier de cession plus facile à lire pour les futurs candidats à la reprise. Opter pour le remboursement permet à l'associé de récupérer ses fonds, mais le remboursement réduisant la trésorerie de l'entreprise rendra nécessairement la cible moins séduisante pour l'acheteur.
Dans tous les cas, la décision de remboursement doit être faite en tenant compte des liquidités de l’entreprise et des attentes du repreneur (si une discussion est déjà suffisamment engagée).

Fiscalité : le remboursement n'étant pas soumis à imposition sur le revenu, un repreneur qui s'accroche vraiment à une affaire, doit, dans son processus de séduction du cédant, privilégier le montant du remboursement du compte courant au montant du rachat des titres.

La reprise du compte courant par l'acquéreur

Dans certains cas, l’acquéreur peut choisir de reprendre le compte courant d’associé tel quel. Cela peut se révéler avantageux tant pour le vendeur que pour l'acheteur, selon les termes de l'accord. La cession du compte courant facilite le transfert de la créance à l'acquéreur sans implications fiscales, mais requiert des démarches spécifiques. Dans les transmissions patrimoniales, le compte courant d'associé est également perçu par les fiscalistes comme un actif de l'associé, pouvant être cédé ou transmis à ses héritiers.

L'engagement par l’acquéreur du remboursement ultérieur du compte courant

Si le remboursement intervient après la cession, les modalités doivent être négociées et documentées dans le contrat de vente. Il est possible d'être très créatif à ce niveau et traiter le remboursement de cette dette envers l'ancien associé en fonction des performances à venir de la société.

L'abandon par l'associé-créancier de son compte courant

L'abandon par l'associé de sa créance en compte courant, qu'il soit total ou partiel, est une démarche volontaire de renonciation à sa créance en faveur de la société. Lorsqu'une entreprise est en difficulté, il est assez courant que se pose la question de l'abandon du ou des comptes courants. Une telle opération permet alors d'alléger les dettes de la société grâce aux associés qui acceptent de tirer un trait sur les fonds qu'ils ont apportés par l'intermédiaire de leur compte courant. Une telle décision / opération d'abandon du compte courant d'associédoit être formalisée par écrit.

Chez la société bénéficiaire de l'abandon du compte courant par un associé, l'opération est comptablement enregistrée en 7788 - Produits exceptionnels divers, avec un impact fiscal dans le sens où il s'agit d'un profit imposable.
Lorsque l'associé qui abandonne sa créance en compte courant est une société, cet abandon en compte courant est une charge financière qu'il convient d'enregistrer en Pertes sur créances liées à des participations (compte 664).

Cette action, par ses répercussions positives sur la santé financière de l'entreprise, en augmentant ses fonds propres et en améliorant son bilan, impact mécaniquement à la hausse le prix des titres lors de la négociation de cession / reprise.

La formalisation de l'abandon pur et simple d'un compte courant par un associé

La loi n'exige aucun formalisme ou formalité relative à un abandon en compte courant d'associé, à partir du moment où celle-ci est correctement enregistrée en comptabilité et que l'abandon est ainsi reflété dans le bilan de la société bénéficiaire de l'abandon, ainsi que dans le bilan de celle abandonnant sa créance envers sa participation.

Il est néanmoins beaucoup plus prudent pour la société bénéficiaire de cet abandon de faire signer un document par l'associé qui consent à cet abandon, de façon à éviter tout litige ou recours ultérieur. Afin d'éviter toute ambiguïté, un tel document (convention d'abandon en compte courant) doit rappeler le montant de l'abandon réalisé.

La clause de retour à meilleure fortune

Pour la société débitrice envers un associé, il existe une façon d'obtenir un peu plus facilement un abandon par l'associé de sa créance en compte courant : la clause de retour à meilleure fortune. Celle-ci permet de laisser espérer l'associé qu'il pourrait récupérer tout ou partie de sa créance abandonnée si d'aventure la société améliorait à l'avenir sa situation financière de manière significative. Il s'agit donc d'une protection pour celui qui consent à l'abandon, ou une sorte d'incitation à accepter l'abandon. Une telle clause dans la convention, pour être applicable, nécessite de poser des bases très précises sur la qualification dans le bilan comptable du retour à meilleure fortune.

L'inclusion dans l’acte de cession des titres de la solution négociée

Quelque soit l'accord trouvé sur le sort du compte courant d'associé, il est naturellement primordial de le documenter dans l'acte de cession. En cas d'absence de mention, le titulaire du compte courant d'associé, même s'il vend 100% de ses titres, reste alors créancier de la société et peut exiger le remboursement de sa créance à tout moment.

En cas de remboursement futur, il est usuel de mentionner les garanties éventuelles accordées par l'acquéreur ou la société, ainsi que les délais de paiement / remboursement.

En cas de reprise du compte courant dans les comptes de la société, il convient d'établir un relevé du compte courant à la date de la cession, et d'engager les démarches de modification du nom du titulaire.

Cession intra-familiale : attention, l'administration fiscale aura tendance à vérifier l'existence d'une donation déguisée entre l'associé cédant et le descendant acquéreur. Il convient dans un tel scénario de payer les droits de donation le cas échéant, si le compte courant est abandonné à un prix inférieur à sa valeur réelle.

Résumé des impacts fiscaux et financiers pour chacune des différentes options

Le tableau ci-dessous résume les conséquences fiscales et financières des diverses stratégies de gestion du compte courant d’associé lors d'une cession :

Option : Cession du compte courant d’associé
Impact fiscal pour le cédantPas d'imposition sauf si prix de cession > valeur nominale
Impact financier pour la sociétéPas de modification de la trésorerie ni des capitaux propres
Option : Remboursement du compte courant d’associé
Impact fiscal pour le cédantPas d'imposition
Impact financier pour la sociétéDiminution de la trésorerie et des capitaux propres
Option : Abandon de la créance en compte courant d’associé
Impact fiscal pour le cédantRisque de donation déguisée
Impact financier pour la sociétéAugmentation des capitaux propres et amélioration du bilan / Plus-value imposable

L'abandon du compte courant par augmentation de capital

En dehors de la problématique de cession / reprise d'une société, il est intéressant de noter qu'un autre type d'abandon existe pour la créance en compte courant d'associé : la conversion de la créance en capital. Preuve du pouvoir de l'associé créancier via des fonds apportés en compte courant, un compte courant peut en effet être abandonné au travers d'une augmentation de capital.

Conclusion

Cet article vous a guidé à travers la gestion du compte courant d'associé lors d'une cession/reprise de société. Les différentes voies ont ainsi été évoquées : le remboursement préalable, la négociation de son remboursement futur, la cession ou l'abandon du compte courant, en prenant en compte leurs implications juridiques, fiscales et financières.

Nous avons conscience que chaque cas est unique, lié aux spécificiatés de la cible, du repreneur, de la situation patrimoniale des cédants, etc.. Pour un accompagnement personnalisé, nos experts sont à votre disposition pour vous fournir des éclairages sur le sujet et plus globalement pour vous accompagner dans votre démarche de cession ou de reprise.